Scénariser pour les flammes
Dans "Belouga XL", j'explore cette relation fondamentale avec le feu comme partenaire créatif plutôt que simple outil. Je me positionne délibérément comme scénariste face au four réalisateur, établissant un dialogue où je propose des formes que les flammes interprètent librement.
Cette négociation avec les forces matérielles devient le cœur même du processus créatif. Les turbulences imprévisibles du feu transforment mes structures techniques en formes organiques fluides, révélant ce que la matière elle-même souhaite devenir.
La cuisson à 1300°C représente ce moment décisif où je cède partiellement le contrôle, où l'événement créatif central se déplace de mes mains vers l'interaction autonome entre la porcelaine et les flammes.
L'ouverture du four devient alors comparable à la première projection d'un film dont j'aurais écrit le scénario sans maîtriser la réalisation. Le résultat final porte l'empreinte de cette collaboration unique entre ma vision initiale et l'interprétation matérielle qu'en fait le feu.
Dans "Voile", cette relation à la matière s'étend au-delà du moment de création pour intégrer l'environnement même où l'œuvre existe. La membrane de porcelaine ultrafine n'est plus seulement transformée par le feu lors de sa cuisson, mais continue d'interagir avec son contexte en captant les courants d'air invisibles, prolongeant ainsi ce dialogue avec les forces naturelles bien après mon intervention directe.
La fusion des temps techniques
«Voile » matérialise ma conviction que les temporalités techniques peuvent et doivent coexister dans une même œuvre, sans hiérarchie chronologique.
J'y confronte délibérément la rencontre entre des technologies numériques contemporaines (scan 3D, découpe laser) et la braie de bouleau, colle préhistorique dont la fabrication remonte à plusieurs millénaires.
Ce contraste n'est pas anecdotique, mais structurel - il répond à mon besoin de retrouver quelque chose de plus vivant et manuel face à l'automatisation des processus céramiques modernes.
La matière devient ainsi le lieu où différentes époques techniques dialoguent, révélant leur complémentarité plutôt que leur opposition.
Ce pont temporel se manifeste visuellement dans la sculpture, où la porcelaine d'un blanc immaculé rencontre le noir brillant presque plastique de cette résine ancestrale.
L'anachronisme devient ainsi principe esthétique autant que méthode de travail.
Avec "Four des casseaux", cette démarche s'amplifie et change d'échelle.
Je ne me contente plus de juxtaposer deux temporalités, mais j'engage un véritable circuit d'aller-retour entre les époques.
Un four industriel du XIXe siècle - lui-même révolutionnaire en son temps - est numérisé en milliards de points, puis matérialisé par impression 3D céramique, faisant dialoguer la pointe technologique de deux époques distinctes.
Traduire le territoire en matière
"Four des casseaux" inscrit ma pratique dans une géographie concrète et son histoire industrielle.
En reproduisant ce four emblématique de Limoges, je ne fais pas qu'évoquer l'histoire céramique locale - j'utilise littéralement ses rebuts, transformant la mémoire en matière.
La terre réfractaire que je développe spécifiquement pour ce projet contient 50% de déchets d’une carrière local et 40% de rebuts de porcelaine.
Cette connexion matérielle transcende la simple reproduction patrimoniale.
Le four n'est pas une maquette inerte mais une sculpture-outil, destiné à fonctionner et à accumuler progressivement les traces de son usage, inscrivant ainsi la temporalité des futures cuissons dans sa structure même.
Le territoire n'est plus seulement source d'inspiration, mais composant physique et énergétique de l'œuvre.
Cette approche refuse la déconnexion entre création artistique et ancrage géographique, réaffirmant l'importance des savoirs situés.
Dans "Fontaine à Absinthe", cette territorialité matérielle prend une dimension sociale et rituelle.
Le choix du grès de Saint-Amand n'est pas arbitraire, mais profondément signifiant - ce matériau a littéralement bâti le village et fondé son industrie céramique.
L'œuvre transforme ainsi la mémoire géologique et industrielle d'un lieu en expérience collective contemporaine.
La forme comme économie
"Fontaine à Absinthe" manifeste ma conviction que l'engagement écologique doit être inscrit dans la matérialité même de l'œuvre, non comme discours surajouté mais comme principe structurel. Le pisé en grès local incarne cette préoccupation - matériau à impact minimal, écologiquement impeccable parce qu'on ne peut pas faire plus local.
L’irrigation alimente une plante d’absinthe, sauf quand l’eau est prélevée pour la dégustation. Chaque verre servi soustrait à la plante ce qui lui était destiné, révélant une tension concrète.
A quel usage accorder la ressource ?
En rendant visible ce partage, la sculpture met en scène une économie de l’eau, où chaque geste engage une responsabilité.
Cette notion d’économie s'étend au processus même de création, où les accidents et rebuts de fabrication sont systématiquement réintégrés plutôt qu'écartés. La vasque de porcelaine, après plusieurs tentatives infructueuses, témoigne de cette persévérance qui refuse le gaspillage.
Avec les « Sculptures de paysage », cette conscience écologique s'intensifie et prend une dimension explicitement politique. La reproduction du viaduc de Garabit en céramique fragile devient commentaire critique sur l'abandon des voies ferrées régionales malgré les urgences climatiques contemporaines.
La vulnérabilité inhérente des systèmes
Les sculptures de paysage engagent une réflexion des systèmes techniques contemporains à travers une transformation matérielle radicale.
En reproduisant ces monuments industriels en céramique fragile, je révèle les contradictions qu'ils incarnent. Le viaduc de Garabit, prouesse technique désormais sous-utilisée, les pylônes électriques contestés pour leur impact paysager - deviennent, dans leur transposition en faïence, des métaphores visuelles de notre relation ambivalente à l'infrastructure.
Cette fragilisation délibérée va au de là du symbole car elle est incorporée au processus même. L'accident d'un pylône brisé pendant l’installation, que je conserve volontairement, devient révélateur plutôt qu'échec. La fragilité n'est plus perçue comme faiblesse mais comme vérité révélée des systèmes apparemment robustes.
Mon choix de la céramique amplifie cette critique - matériau millénaire qui perdure pourtant au-delà des infrastructures industrielles supposées indestructibles.
Cette inversion des durabilités attendues questionne nos certitudes technologiques et leurs prétentions à la permanence.
Dans "2880/10400", cette dimension critique atteint son expression la plus complète. Je ne me contente plus de représenter un système industriel, mais j’en reproduis l’expérience dans mon processus créatif pour ensuite le déconstruire par le feu.
La palette d'œufs standardisée - symbole parfait de la rationalisation industrielle - s’effondre, révélant visuellement cette intuition que tout système excessivement ordonné contient les germes de sa propre déstabilisation.